Vendredi 7 avril 2023 Villa Union - Barreal
Vu le programme chargé de 400 kilomètres, nous avions décidé de partir de bonne heure. Les préparatifs étant longs et complexes, nous avions 25 minutes de retard lorsque nous lançâmes nos moteurs à la pompe YPF de Villa Union. Pour passer de Banda Florida ou se trouvait la Quinta Privada à Villa Union, il fallait franchir le Rio Bermejo. Bernagnou en suait déjà des épingles bien qu’il l’ait traversé avec brio dans l’autre sens deux jours auparavant.
McGnou partit en avance pour photographier l’instant mémorable où les gnous emprunteraient le pont enjambant la rivière. Il s’agissait d’une structure en bois montée sur deux troncs d’arbres garnis de planches inégales d’un mètre cinquante de large. Le pont en lui-même ne faisait pas plus de cinq mètres de long.
Milougnou arriva en tête et passa sans sourciller, suivi de Charmingnou qui ne semblait pas impressionné.
Bernagnou avait digéré toutes les recommandations de Milou, le spécialiste du Dakar et du Ténéré: ne pas regarder le pont mais la route au-delà, enclencher un petit rapport, ouvrir un filet de gaz etc.
Le filet serait passé par un cathéter de nouveau-né et c’est à basse vitesse que notre compagnon emplit son devoir. Il fût acclamé sur l’autre berge avec des cris de joie. Sa banane faisait plus de 20 centimètres.
Nous allâmes rendre les clés à l’hôtel Cuesta de Miranda qui gérait la maison que nous avions louée et fîmes les pleins à la station-service voisine.
La première partie de l’itinéraire fût merveilleuse mais techniquement simple.
A Huaco, nous obliquâmes vers le défilé de la Cienaga. Nous étions dominés par de splendides montagnes et notre route serpentait à flanc de coteau.
Nous arrivâmes au barrage de Cauquenes et poursuivîmes notre marche dans la longue vallée du Rio Jachal.
A hauteur de las Flores, nous prîmes la fameuse route provinciale 142 qui relie Iglesia à Calingasta. Cette route est en réalité une piste de gravillons, de sable et de terre battue.
Elle culmine à 2.500 mètres, ce que nous constatâmes car notre paquet de chips était devenu un ballon rectangulaire.
Nous déjeunâmes de nos délicieux sandwiches dans la bourgade de Tocota qui ne comprend plus qu’un poste de gendarmerie occupé et une maison en ruine abandonnée.
Des chiens de gendarmes eurent vite compris la raison de notre halte et s’assirent à nos pieds espérant quelques miettes de notre frugal repas.
Nos œufs, notre jambon et notre fromage y passèrent mais les chiens n’en eurent rien.
L’heure du départ ayant sonné, nous nous remîmes en chemin. Bernagnou et Charmingnou partirent en avant pour ne pas retarder les autres ou pour ne pas souffrir de la poussière qu’ils eurent dégagée voire les deux.
Les gravillons s’accumulaient dans les trous et le sable comblait les inégalités du terrain. Les gnous pilotaient debout, en suspension et de manière non-defensive. Le terrain meublé requiert d’ouvrir suffisamment les gaz pour remettre la moto déséquilibrée dans le droit chemin.
Nous évoluions à une vitesse d’environ 60 km/h ce qui limitait sensiblement les risques de déséquilibre de nos machines. La 2ème vitesse était la plus appropriée à ce rythme d’évolution.
Nous fûmes dépassés par deux Africa Twin qui roulaient un train d’enfer avec une maestria invraisemblable. Nous étions à la fois abasourdis et admiratifs.
A deux kilomètres de la fin de la piste, le terrain se fit meuble et Charmingnou ralentit fortement dans un bac à sable. Il ne put se maintenir sur la piste et coucha sa GS 1200 dans un fossé de sable à très faible vitesse.
Les pilotes des deux Africa Twin que nous avions salués alors qu’ils faisaient une pause, rejoignèrent la troupe arrêtée, Milougnou et McGnou qui étaient en avant s’inquiétèrent de ne pas être rejoints. Ils rebroussèrent chemin et trouvèrent 2 camionnettes et 4 motos arrêtées.
Charmingnou souffrait d’une légère douleur au poignet gauche. Nous convînmes que le retour à Santiago se ferait plus sûrement en camionnette qu’au guidon de sa moto. Milougnou piocha dans l’opulente trousse de secours préparée avec amour par sa gnoussette de chef.
Bande velpeau, arnica et voltaren furent appliqués généreusement au gnou qui, le choc psychologique passé, ne semblait pas fort atteint par l’intermède.
Rodrigo, un des pilotes de l’Africa Twin et instructeur moto de son état, conduisit la moto à la fin de la piste pour pouvoir la charger dans la camionnette. Charmingnou monta dans l’engin à quatre roues conduit par Tonygnou.
Rodrigo prit le guidon de l’Africa Twin de McGnou et retourna avec sur le lieu de l’incident afin de reprendre sa monture. Avec McGnou pour passager et dans l’impossibilité de se mettre en suspension, il évoluait avec une impressionnante virtuosité. Il se jouait des obstacles à environ 100 km/h ouvrant les gaz à fond chaque fois que c’était nécessaire pour franchir un bac à sable. Lorsqu’il rendit le guidon à McGnou, il lui demanda: “Te gusto?”
McGnou répondit que oui, le remercia pour sa gentillesse et redescendit à une allure sensiblement plus modérée.
Les préparatifs du chargement de la moto allaient bon train. Rodrigo qui avait rejoint les gnous avait suggéré de porter la moto. 300 kgs? lui objecta-t-on.
Le propriétaire du lieu suggéra d’utiliser son quai de déchargement de camion. La différence de hauteur faisant près de 50 cm, on alla chercher une palette pour servir de rampe. Rodrigo ne le sentait pas: la palette ne lui semblait ni assez solide, ni suffisamment calée sur la ridelle du pick-up.
On proposa à Rodrigo d’utiliser le côté du quai qui était moins haut. La ridelle déployée, on constata que la chose était bien possible et Rodrigo sembla apaisé.
Une fois la GS installée dans le pick-up, on demanda qui avait des sangles d’arrimage. Il n’y en avait hélas aucune. Milougnou intima l’ordre aux gnous d’aller chercher tout ce qui pouvait servir de sangle: élastiques, sandows, ceintures; tout devait y passer. Entre-temps, le propriétaire des lieux avait dégotté une solide corde et une sangle de longueur satisfaisante.
On arrima un véhicule sur l’autre afin qu’il ne s’en désolidarise pas et on reprit enfin la route.
A Calingasta nous pûmes faire les pleins et contrôler l’arrimage.
Malgré tous les contretemps, nous arrivâmes à Barreal à 18.00h. Bernd, le propriétaire de El Aleman nous accueillit dans les langues de Cervantes et de Goethe.
Les petits bungalows, élégamment disposés dans un joli jardin étaient décorés avec des rideaux de vichy. On aurait pu se croire dans les Alpes ou en Bavière.
Notre dîner serait servi à 21.00 h nous dit Bernd. Entre-temps il nous fit apporter des Warsteiner bien fraîches, brassées en Argentine, bien entendu.
Nous rencontrâmes sur le parking, un motard pédiatre chilien qui examina le poignet endolori de Charmingnou. Il appuya partout et conclut qu’il n’y avait pas d’os important qui se soit brisé. Par acquis de conscience, il conseilla de faire une radio pour s’assurer qu’aucun petit os ne soit fêlé. L’esculape nous dit qu’il rentrait également le lendemain à Santiago, mais qu’il ne partirait pas trop tôt. Il comptait faire la route d’une traite et comptait sur 5 heures de voyage. La route comportait une trentaine de kilomètres de piste mais elle était bonne nous assura-t-il.