Depuis le mois de janvier il devint clair que l’équipée andine des gnous serait composée d’une horde clairsemée. Petit Gnou et Finougnou avaient renoncé de longue date à user leurs sabots sur les terres australes du nouveau monde hispanique.
Une nouvelle cataclysmique tomba sur les téléscripteurs whatsappiens et gnoussiens: PapaGnou ne serait pas du voyage. Son palpitopraticien lui avait interdit de prendre la route des Andes sans avoir au préalable charcuté son petit cœur de beurre et de chantilly. Le grand chef gnou avait essayé de négocier avec l’intraitable Hippocrate sans que rien n’y fisse: d’abord la partie de billard et le reste ensuite, avait-il sentencieusement affirmé. Les gnous consternés se consultèrent à propos de la tactique à adopter. La première idée qui vint à leurs esprits fût d’annuler le périple: on s’y reprendrait ultérieurement. Un voyage de Gnous sans PapaGnou est aussi inimaginable qu’un sachet de frites sans mayonnaise, un dessert sans crème fouettée ou un petit-déjeuner sans beurre.
Aussi altruiste que généreux, le leader incontesté de la horde ruminante conseilla de lui chercher un substitut en le laissant à son lit de souffrances. La proposition peu alléchante pour les ruminants habitués à ne se déplacer que derrière leur chef fût cependant adoptée à contrecœur. Les arrhes versées pour la location des montures eurent été perdues en cas de désistement. On se mit en quête d’un quatrième larron pour la foire; des hypothèses fusèrent, scandées d’interjections et de longs silences révélateurs.
La dynamique gnoussienne est faite d’un équilibre subtil qu’il faut préserver; les gros mots fusent régulierement, les éclats de voix occasionnellement, mais rares sont les altercations. Elles s’estompent instantanément grâce au respect mutuel qui anime les ruminants et le feu s’éteint faute de combustible oral. A défaut d’extinction spontanée, les observateurs du conflit viennent à la rescousse pour noyer l’incendie tels des scouts éteignant le feu de camp avant de rejoindre leurs tentes en soulageant leur vessie. Les gnous ne se couchent pas en se malentendant.
Untel n’a-t-il pas la rancune tenace? Tel autre est-il suffisamment aguerri au pilotage sur deux roues? On convint de choisir unanimement le quatrième compère ou de partir à trois. Bernagnou avait été approché par Charmingnou qui assurait que le matching serait fructueux. Ses états de services bi-cycliques ayant été jugés suffisants pour parcourir 3.000 kilomètres de routes andines, on se pencha sur la symbiose et l’on conclut que la recrue ne terminerait pas cuite.
Bernagnou fût accueilli par accalamation et on se mit à fourbir le matériel nécessaire et à affiner le roadbook, mission qui avait été confiée par PapaGnou à McGnou dès le mois de décembre 2022. Prémonition ou pusillanimité? Il s’était refusé à organiser le voyage prétextant de sa méconnaissance de la langue de Cervantes.
Il avait toutefois recommandé l’assistance d’un véhicule accompagnateur conduit par un chauffeur facilitateur hispanophone. Le choix se porta sur Tonygnou qui avec ses contacts locaux était familiarisé à la mentalité des indigènes composé d’un subtil mélange de sublime complaisance et de redoutable inefficacité.
On fixa un roadbook ambitieux, plaisant et raisonnable. Google Streetview permet d’ausculter l’état des routes à une époque indéterminée mais pas d’éviter les déconvenues. Il fallait se ménager des plages de repos sur un parcours judicieusement établi.
On convint en février d’un parcours initiatique d’intégration de Bernagnou. La dynamique bien rodée de là circulation gnoussienne devait être comprise par numéro 4, moins habitué aux galops rassemblés.
Un tour d’Ardenne et de grand-duché, ponctué d’une courte pointe palatine fût fixée au 1er mars. Après un brunch à Montjardin, la troupe s’élança sur un trajet sinueux et escarpé. Le froid pinçait les mains et les pieds; il fouettait également les visages des onguligrades engoncés dans leurs couches de protection thermique. La horde évolua en souplesse; les arrêts aux changements de direction, le comptage des casques oranges dans le rétroviseur et les pauses permirent d’accorder sans longs sanglots les violons du printemps. Un ultime arrêt à l’auberge Huberty de Kautenbach fût l’occasion de réchauffer les antérieurs et les gosiers du groupe engourdi par le froid.