Jeudi 6 avril 2023 Laguna Brava
Nous avions convenu de partir à 8 h pour notre trajet de 174 km et notre ascension de 3.147 m.
Nous eûmes une longue discussion sur notre moyen de transport: fallait-il y aller à moto ou en voiture? Les avis partagés de la veille s’orientaient vers une solution à deux vitesses: chacun n’avait qu’à faire comme bon lui semblait.
On convient cependant au petit-déjeuner que le mal de l’altitude au guidon risquait de causer une fatale erreur de pilotage. Le mal de Puna, comme on l’appelle ici, peut être redoutable et affecter les fonctions cognitives du cerveau. Personne ne sachant qui pouvait être frappé et avec quelle incidence, nous décidâmes de monter ensemble dans le pick-up Peugeot.
En outre, Charmingnou devait impérativement être rentré pour 16.30 h car il devait faire un test anti-génique Covid pour entrer au Chili. La pression de l’horloge ajoutait une couche de risque superflue.
Le début du parcours était simple mais la piste commença aux estrellas de Vinchina. Un paysage invraisemblable de torrent dans un canyon s’offrait à nos yeux. L’asphalte s’était mutée en terre battue et les lignes droites en courbes étroites.
Nous vîmes un pâtre avec ses chèvres et fîmes une courte halte.
Comme par enchantement, ce paysage disparut comme il nous avait surpris: retour aux lignes droites, à l’asphalte et au terrain peu accidenté.
Nous arrivâmes à un de ces nombreux barrages aux fonctions absconses qui peuplent le réseau routier argentin. Nous ralentimes au pas; aucun signe ne nous étant fait, nulle parole ne nous étant adressée, nous redémarrâmes allègrement.
Plusieurs kilomètres plus tard, un pick-up banalisé nous poursuivait en faisant des appels de phares. Nous nous rangeâmes sur l’accotement. 2 personnes de la police environnementale nous expliquèrent que l’accès à la Laguna Brava était interdit aux visiteurs non-accompagnés. Il fallait s’acquitter d’un droit d’entrée, et prendre place dans un convoi ou s’assurer des services d’un guide. On nous intima l’ordre de rebrousser chemin jusqu’au poste de contrôle et de remplir les formalités. Nous suivîmes le véhicule cabossé jusqu’au poste.
Vu l’urgence, nous choisîmes un guide particulier. On nous expliqua que c’était impossible car nous étions déjà 5 dans la voiture et le guide devait impérativement nous accompagner. Nous expliquâmes que dans ce cas, un des gnous passerait la journée au poste de contrôle pendant que les autres faisaient la visite de la lagune. Il y aurait donc une place pour le guide dans la voiture. Cette solution ne plut pas au responsable qui émit une autre idée: si nous le rémunérions pour transporter le guide, il pourrait nous précéder durant la visite. N’ayant aucune alternative, nous conclûmes l’affaire et suivîmes le véhicule désigné.
L’ultime portion de route comprenait 40 km et le dénivelé 2.000 mètres. L’itinéraire était d’une ineffable beauté: quelque chose de Roussillon ou de Chamarel.
Dans le fond de la vallée nous aperçûmes une troupe de Guanacos. Ce camélidé à tête foncée existe à l’état sauvage en altitude.
Nous poursuivîmes notre progression dans une nuée de poussière, levée par notre véhicule pilote.
Devant nous, quatre chaînes de montagnes de couleurs différentes s’échelonnaient dans la profondeur: sable, vert, noir et ocre mêlaient harmonieusement leurs teintes pour notre plus grand plaisir.
La raréfaction de l’oxygène dans l’air mettait le moteur de notre pick-up à mal; il n’avait plus aucun couple sous les 2.500 tours et il fallait jouer avec l’embrayage pour éviter de caler en côte. On avait l’impression de conduire un véhicule essence dont le couple augmente avec les tours et non un diesel dont la puissance diminue avec le régime. Nous espérions que notre précieux véhicule tiendrait jusqu’au sommet.
Le relief se fit plus plane et nous comprîmes que le but de notre excursion approchait.
La lagune nous apparut enfin, couverte de sel et d’eau. Ses 17 km de long par 3 de large étaient imposants.
Nous nous arrêtâmes face à un débris d’avion C46 F qui avait fait un atterrissage d’urgence en 1964 avec à bord, 6 membres d’équipage et 8 juments anglaises de grand prix. Un des moteurs était en panne et le pilote pensa qu’il s’agissait d’un lac salé et non d’une lagune salée. L’avion s’écrasa et seules 2 juments périrent dans l’accident.
Nous demandâmes ensuite à notre guide de nous conduire à la lagune de la mulas muertes pour admirer les flamants roses. C’est un autre circuit et c’est possible moyennant un supplément nous dit-on sentencieusement. Le traquenard n’était pas loin mais nous n’avions aucune alternative; nous passâmes donc par les fourches caudines de nos interlocuteurs qui nous menèrent à la précieuse lagune.
Des milliers de flamants roses s’affairaient à leur repas. Certains échassiers étaient posés sur le sol. La plupart avaient les pieds dans l’eau tandis que quelques-uns volaient d’un groupe de congénères à un autre.
Le niveau étant bas, nous ne pûmes les approcher a moins de 250 à 300 mètres, mais nous pouvions distinctement les apprécier malgré la distance. Un silence incroyable régnait sur la lagune, uniquement perturbé par les bruit des moteurs de voitures que nous ne devions pas arrêter au risque de ne pouvoir les remettre en marche.
Une harde de vigognes paissait à proximité. Ces lamas chassés jusqu’à la quasi-extermination pour leur laine et leur cuir trouvaient ici un havre de paix pour se reproduire et repeupler les plateaux de très haute altitude.
Ces animaux ne craignaient nullement notre présence: ils étaient habitués à être observés par des visiteurs pacifiques et admirateurs.
Nous vîmes en route plusieurs refuges construits au 19ème siècle pour abriter les éleveurs nomades lors de leurs transhumances d’un côté à l’autre de la cordillère.
Ces petits édifices en pierre séches auxquels sont adjoints un corral permettaient aux bergers de dormir à l’abri du grand froid sans que leur précieux bétail ne s’échappe.
Nous décidâmes enfin de redescendre vers Villa Union: nous avions vu le principal de ce que la lagune avait à offrir, le temps pressait et nos tempes battaient du mal de puna, cette migraine causée par l’altitude qui s’accompagne d’une augmentation de la tension, du pouls et du rythme respiratoire.
Le ciel s’étant partiellement couvert, le paysage différait fortement de celui du matin. Nous nous réjouîmes du temps clément qui avait accompagné notre montée.
Charmingnou passa son test PCR avec succès et nous pûmes soigner notre mal d’altitude dans les sofas de la Quinta Privada.