Jeudi 22 mars 2018 - Gran Canaria, Tenerife, Gomera
Notre dernier jour à Gran Canaria se déclina sous le signe de la ponctualité et de la fébrilité : pour prendre le ferry de 10.00 h à Agaete, il fallait y arriver à 9.00 h. Selon les calculs savants de PapaGnou, il faudrait 90 minutes pour rallier les 63 premiers kilomètres ce qui démontre que son entrain à essorer sa poignée était quelque peu affecté par la vélocité de ses récentes mésaventures à moto et à ski. L’ambitieux road-book accusait près de 300 kilomètres dont une centaine en mer. Deux ans auparavant, Papa Gnou aurait mangé son casque avec les boucles et les mousses isolantes plutôt que de planifier une étape de moins de 600 bornes.
On quitta l’hôtel le ventre creux, à 7.15 h.
Malgré une halte technique visant à remplir de gasolina à 97 cents les bosses de nos chameaux, nous parvînmes au port, fort en avance. On nous intima l’ordre de prendre place en tête de file, comme c’est la tradition pour les véhicules auxquels il manque deux roues.
Lorsque le ferry tant attendu arriva enfin, on nous signala qu’il n’allait pas à Tenerife et qu’un autre bâtiment attendait au large que la place se libère pour venir nous prendre. Levés aux aurores, nous patientions à présent sur un parking d’une austérité digne d’une cour de pénitencier. Les 6 s’ingéniaient à imaginer comment ils auraient pu profiter de ce temps volé : on eût pu dormir ces précieuses minutes, déjeuner à l’aise, se promener dans les rochers ou même se baigner au lieu d’attendre Fred.Olsen qui semblait avoir entrepris le voyage depuis Oslo pour nous transporter. Sur l’aride tarmac, nous fîmes connaissance avec un couple de canaris qui avaient rangé leur scooter BMW flambant neuf derrière nos puissantes machines. Un motard n’adresse pas la parole à un chauffeur de scooter, mais McGnou fit exception, montrant que les circonstances exceptionnelles peuvent le conduire à une coupable promiscuité.
On annonça enfin l’embarquement et nous pûmes ouvrir la marche pour prendre place dans des recoins du navire que nul autre véhicule n’eut pu occuper.
Arrivés sur le pont supérieur, nous intimâmes l’ordre à MilouGnou de s’asseoir à la proue du catamaran à fond plat afin d’éviter de reproduire le fâcheux incident du survol du Grand Canyon. (Voir : “Les gnous sur la côte ouest”, édition du roule-toujours.)
Le déficit de viatique et de léthargie de la nuit précédente fût rapidement compensé en estourbissant de délicieux sandwichs longue-durée au jambon rose et au fromage de Hollande toastés minute par le personnel de bord.
La houle berça ensuite les pauvres gnous épuisés que Morphée faisait entrer à grands coups de fouet dans son corral privé.
Le débarquement se fit prestement, car le temps manquait pour musarder. Le stupre le disputant à présent à la précipitation, on convint même de rejoindre Los Cristianos par l’autoroute ce qui nous mit à nouveau fort en avance, retrouvant le couple en scooter qui accomplissait le même parcours. Nous priâmes Odin pour qu’il nous envoie Fred.Olsen dans un délai raisonnable et fûmes exaucés. Nous quittâmes Tenerife et ses vacanciers retraités, heureux de partir à la conquête de Gomera dont le joli port San Sebastián ravit nos yeux déjà habitués aux grues rouillées et aux engins de chantier portuaires. Nous nous élançâmes ensuite rapidement vers les sommets de ce petit bijou d’île aux couleurs chatoyantes.
Petit Gnou rencontra en route une ibère qui promenait sa mère sur cette improbable langue de terre abandonnée dans les mers. Sans intention particulière, il vécut un calvaire lorsque le pneu de son dromadaire percuta celui de l’ibère qui incendiaire, se mit à braire, menaçant d’appeler son mari concessionnaire qui en ferait sûrement son affaire. Une explication lapidaire permit de reprendre l’itinéraire sans croiser le fer.
CharminGnou suggéra de faire une halte dans son stamcafé, le bar de la Degollada de Peraza qui offre un panorama de toute beauté sur les côtes échancrées en contrebas. Ignorant qui était Peraza et ne sachant ni quand ni pourquoi elle y avait dégueulé, nous entrâmes avec une satisfaction mêlée d’inquiétude : le même sort nous serait-il réservé ?
La traversée ayant eu raison de notre appétit, nous ne prîmes qu’une légère collation. Nous pensions également qu’une certaine retenue nous éviterait d’entrer dans la confrérie vomitrice de Peraza.
Papa Gnou clôtura le repas avec une anecdote concernant un procès qu’aurait perdu Croc’s car ses chaussures causeraient une déformation du pouce du pied. MilouGnou fit judicieusement observer que seuls les quadrumanaques ont des pouces aux pieds car ils les utilisent pour grimper aux arbres. Il doutait que les singes aient traîné le fameux fabricant de savates devant les tribunaux.
A la sortie, CharminGnou proposa un petit détour pour profiter de l’imprenable vue du belvédère proche. Nous parvînmes à la cime pour admirer derechef une tormenta inimaginable avec un brouillard intraversable, le tout par une température frigorifiante. Nous redescendimes aussitôt vers notre destination finale en appréciant la remontée rapide des températures.
Le Jardin de Tecina nous accueillit à bras ouverts et nous passâmes la soirée près de la plage en épiloguant sur les événements de la journée.