Lundi 27 mars 2023 Santiago - Tupungato - Valle de Uco
La journée s’annonçait parfaite: temps radieux sur Santiago. Milougnou ayant omis d’emporter un costume de bains, on se mit à la recherche de l’objet convoité. Après le petit-déjeuner, les effets personnels gnoussiens furent chargés dans le pick-up Peugeot et la troupe se rendit chez Decathlon.
Les embouteillages du lundi matin compliquèrent le trajet et il fallut près d’une heure pour atteindre la succursale de la famille Mulliez. Nous découvrîmes que les panneaux d’affichage étaient bien présents mais que le magasin avait été vendu à IKEA. Milougnou, philosophe déclara qu’il nagerait avec son caleçon noir.
Nous nous rendîmes ensuite chez Motoaventura qui devait nous remettre nos fières montures. Espoir et déception: un camion déchargeait les BMW et les Tiger à notre arrivée. Il nous faudrait un peu de patience.
Bernagnou eut une autre désillusion: il avait loué une Triumph Tiger et on lui remettait une Honda Africa Twin. Vous profitez d’un surclassement, lui dit-on. Cet avantage ne lui convenait pas du tout. Il avait apporté un sac de réservoir avec un accessoire d’installation Triumph qui ne s’adapterait pas à la Honda. Par ailleurs, la Honda avec ses airs de girafe nippo-chilienne était peu adaptée à sa morphologie. MacGnou proposa de permuter sa Triumph pour la Honda qu’il connaissait bien pour l’avoir pilotée au Japon.
La proposition était plaisante, mais il y avait un souci: les papiers d’exportation temporaire et les assurances avaient été établis au nom des gnous respectifs. Après moult palabres, on convint d’indiquer un deuxième chauffeur dans chaque contrat et on commença à équiper les montures.
La réception et la documentation de chaque griffe prit beaucoup de temps. Il fallut enfin autoriser une garantie à prélever sur les cartes de crédit des gnous. Celle de Milougnou récalcitrait et celle fraîchement autorisée de Bernagnou refusait l’obstacle malgré plusieurs infructueuses tentatives.
Les comparses prirent le relai et on prit la route à midi trente avec une heure et demie de retard sur le programme. Les retards gnous ne se refont pas, ils s’accumulent…
La sortie de Santiago prit encore une demie heure avant de prendre l’autoroute des libérateurs qui s’élance à l’attaque du Chili.
Le paysage devenait impressionnant: des vallées profondes, des montagnes arides parsemaient notre route.
Nous approchions de la fameuse station de sports d’hiver de Portillo non loin de la frontière. Les cahots eurent raison de la fonte gauche de Charmingnou qui vomit son contenu sur l’inégal revêtement. L’intéressé ne s’en aperçut point et poursuivit son itinéraire.
Tonygnou descendit de sa Peugeot et se mit à ramasser les effets épars avec l’aide d’une camionneuse hilare qui avait garé son quarante tonnes pour lui prêter main-forte.
L’émotion avait creusé l’appétit des gnous qui firent halte à l’hôtel de la station de Portillo pour remplir leurs flancs amaigris. L’altimètre indiquait 2.750 mètres.
Une splendide vue sur le lac de Portillo éclairait la jolie table qui fût attribuée aux ruminants affamés.
L’hôtel était quasi-désert en cette période automnale mais les corps de métier s’affairaient à rendre sa splendeur à ce haut lieu du ski chilien, dans l’attente des sportifs chamarrés.
McGnou s’enquit auprès du garçon de salle de l’emplacement de la douane argentine: avant ou après le tunnel du col? Le pauvre homme l’ignorait complètement. Seuls les camionneurs et les étrangers s’aventurent au delà des confins de l’état. Il y avait un relent de désert des tartares en ce lieu fréquenté par les transporteurs routiers et les touristes.
Pour respecter les fameux papiers d’exportation temporaire, McGnou et Bernagnou permutèrent leurs motos. Le deuxième se retrouvait avec le GPS du premier qui en était ainsi démuni.
McGnou commit ainsi une terrible méprise et conduisit le groupe à la douane … chilienne. La cordée avait compris aussitôt l’erreur mais ce n’est que lorsque le douanier s’enquit de notre destination que les choses devinrent claires.
Les gnous riaient à gorge déployée.
On nous indiqua le chemin du tunnel: il faut descendre par là pour aller en Argentine, dit-il en indiquant la forte côte qui montait vers le tunnel. Ces explications sybillines nous troublèrent: on monterait donc en bas? A moins qu’on ne descende à l’étranger comme les parisiens descendent dans les Alpes où les Pyrénées.
Nous arrivâmes à un poste de contrôle de gendarmerie chilienne. On nous distribua des petits stencils super importants à présenter à la douane. Tonygnou pensant à juste titre que le contrôle était effectué suivit les motos. Il fût vite rattrapé, sirène hurlante par un véhicule des représentants de l’ordre qui n’avaient pu inspecter notre pick-up. Plusieurs explications et contrôles plus tard, Tonygnou partit à la recherche des motards. Il ne trouva pas l’entrée du bâtiment de douane où attendaient les gnous et poursuivit sa route jusqu’à un poste de contrôle de police argentin où on lui reprocha de ne pas avoir rempli les formalités douanières. Il fût donc refoulé 15 km en arrière.
Notre précieux temps s'écoulait en conjectures, paperasses et attentes interminables.
Nous nous trouvions dans un immense hall où les véhicules étaient arrêtés ça et là dans un parfait désordre latin. Il fallait descendre des véhicules et se rendre à pied à un guichet, puis à l’autre sans trop savoir comment ni pourquoi. Les tampons mous s’appliquaient sur le papier d’un coup de poignet aussi désabusé que désintéressé.
Ceux qui avaient terminé les formalités demandaient aux autres de déplacer leurs véhicules pour pouvoir sortir. Ne voulant pas perdre leur place dans la file, la plupart s’y refusaient. Ce tohu-bohu inextricable fût pris avec philosophie, les gnous tentant tant bien que mal de s’adresser au bon bureau dans l’ordre prescrit sans exploser de colère ou de désespoir.
Les documents qu’on nous avait donnés étaient tous de tailles différentes, certains découpés par déchirure, d’autres imprimés, manuscrits ou tamponnés. Il y en avait pour les personnes et pour les véhicules. Le plus complexe, de la taille d’une page A4 exigeait force détails comme le numéro de châssis du véhicule, et le nom de famille de la mère (du motard, pas de la moto!)
Après avoir rempli le précieux sésame avec application, on nous indiqua le bureau suivant ou le remettre au fonctionnaire compétent. Nous les présentâmes à l’intéressé qui l’inspecta et nous dit: “Celui-là, il ne faut pas le remplir car il ne sert a à rien”. Joignant le geste à la parole il précipita prestement les documents remplis avec componction dans sa corbeille à papier. Devant nos yeux médusés, nous était apparu Kafka ressuscité.
Nous reprîmes enfin la route et arrivâmes au poste de gendarmerie argentin ou on nous demanda un billet avec 2 tampons, un noir et un rouge, qui nous avait été remis au poste précédent. Bernagnou ne put remettre la main sur le sien pensant que l’échange de motos avait pu être la cause de la disparition. Il fit mine de pleurer de désespoir, ce qui sembla attendrir le représentant de l’ordre qui lui fit signe de passer. Nul doute qu’en vidant la poubelle ce soir, quelqu’un s’apercevra avec horreur qu’il y manque un ticket de la taille d’une souche de station service…
L’Africa Twin n’a qu’un défaut: son réservoir est minuscule. Il ne lui restait qu’une barrette d’autonomie et la prochaine pompe était à 46 km. McGnou roula à l’économie, tantôt coupant le contact dans les descentes, tantôt en freinant sur le moteur pour ne pas solliciter inutilement les freins. On atteint finalement Uspallata ou nous pûmes remplir nos réservoirs.
Nous avions parcouru une route exceptionnelle d’une rare beauté, écrasés par les montagnes arides qui nous entouraient, tour à tour baignés de soleil et fouettés par le vent. Le soleil couchant caressait à présent les cimes, lèchant les sommets de son pinceau impressionniste. Ça et là, un pont abandonné, une voie ferrée désaffectée ou un bâtiment écroulé témoignaient d’une activité ancienne et fébrile qui avait été remplacée par le dieu-camion, capable de tout transporter n’importe où.
Il nous restait 160 km à parcourir et l’astre se retirait pour la nuit. Nous ne verrions bientôt plus goutte de ce paysage merveilleux. Nous entrions dans la plaine au sud de Mendoza.
Nous arrivâmes à la Posada Salentein à 21 h 45. On nous y servit aimablement une collation constituée d’empanadas, de fromages et de charcuterie que nous dévorâmes avant d’aller nous coucher épuisés par les émotions du voyage.